
En 2020, Pow Pow célèbre son dixième anniversaire. En dix articles, Alexandre Fontaine Rousseau retrace les grandes lignes de cette saga épique. Découvrez, année après année, l’évolution d’une petite maison d’édition indépendante qui s’est lentement mais sûrement imposée comme un pilier de la bande dessinée québécoise actuelle.
Sans rien vouloir enlever aux précédentes, on pourrait quand même dire que l’année 2013 a été celle de la consécration pour Pow Pow. 2011 et 2012 avaient été cool aussi : des bons livres, du beau monde pis du gros fun. Mais on a quand même l’impression de franchir une étape avec la publication coup sur coup des Deuxièmes et de Vil et misérable. « Il y a clairement des gens qui ont découvert Pow Pow à travers ces deux livres-là », admet Luc Bossé. « Ce sont des livres qui ont beaucoup fait jaser à l’époque et qui, même aujourd’hui, continuent de bien se vendre. » Le livre de Zviane en est à son cinquième tirage, tandis que celui de Samuel Cantin est rendu au quatrième.
« Quand j’étudiais en cinéma à Concordia », m’explique Sam, « j’avais tourné un court métrage où un gars arrivait déguisé en démon au travail parce qu’il s’était trompé de date pour le party d’Halloween. » Vil et misérable se construit petit à petit, à partir de cette image d’abord approximative qui se précise au fur et à mesure que le livre avance. De l’aveu même de son auteur, le scénario est plutôt improvisé – d’où la nature quelque peu épisodique du récit. « Ça paraît qu’au début, j’étais ben crinqué », me fait-il remarquer, « parce que le livre commence sur un plan hyper compliqué, avec une perspective super chiante à dessiner. Pis juste après, t’as la scène dans le bureau avec tous les christies de livres en arrière-plan. Mais j’ai fini par me calmer. »
La dernière scène que Sam ajoute est celle du rêve érotique. « Je trouvais qu’il manquait quelque chose », se rappelle-t-il, « et que le livre n’était pas assez weird. » Il dessine donc la fameuse séquence onirique en une fin de semaine et l’envoie à Luc. La réaction de ce dernier à cet ajout de dernière minute ? « Ah ouin han, on s’en va là. » Classique Luc. « Maintenant, à chaque fois que quelqu’un ouvre Vil et misérable dans un salon ou un festival », fait remarquer Sam, « c’est toujours sur ces pages-là qu’il tombe. » On va se le dire, ça donne lieu à d’innombrables malaises pendant les journées scolaires.
Bon. Le chat sort du sac. Pour Pow Pow, 2013 est aussi l’année des scènes de cul. Si Les deuxièmes fait couler autant d’encre, c’est notamment en raison de sa « partition sexuelle » qui s’étire sur près de vingt pages. « Des pénis », confirme Zviane, « évidemment que ça va attirer l’attention ! » Mais elle se défend bien d’en avoir dessiné autant dans le simple but de faire jaser. En fait, cette idée d’ébats musicaux lui vient en tête alors qu’elle a déjà réalisé une bonne partie de son découpage. « Ça m’était égal que ça ait ou non un lien avec l’histoire, parce que c’est vraiment l’idée en tant que telle qui m’inspirait. »
Au début du projet, c’est plutôt l’architecture qui l’intéresse. « Tout a commencé quand j’ai reçu une circulaire pour une compagnie de meubles de luxe », explique-t-elle, « pleine de photos de chalets avec des fenêtres immenses pis des beaux divans. » Elle se met alors en tête de dessiner ce genre de décor. « C’est avec Les deuxièmes que j’ai appris à faire de la perspective ! » Mais quand elle y repense aujourd’hui, Zviane se dit qu’elle a coupé les coins ronds. « Je pense que j’aurais pu aller beaucoup plus loin, avec le design du chalet. » Qu’à cela ne tienne. Le livre remporte tout de même le Grand prix de la ville de Québec, en plus de lui valoir un Joe Shuster Award.
De son côté, Sophie Bédard a déjà terminé deux tomes de Glorieux printemps et continue de publier de nouveaux chapitres sur son blogue à raison d’à peu près un par mois. « Rendu au troisième tome, je savais un peu plus où je m’en allais avec ça », raconte Sophie. Sa série récolte de multiples nominations aux Prix Bédélys et Bédéis Causa et, même si elle ne remporte rien, ça ne semble pas affecter son moral. Elle se présente au Salon du livre de Québec armée d’un ukulélé que Zviane lui a prêté et chante durant toute la semaine son légendaire succès « c’est l’fun Québec/Québec c’est l’fun. »
Mais ce sourire radieux cache, bien évidemment, une profonde souffrance. « J’étais en train de me scrapper le bras », se rappelle-t-elle, « et je considérais un retour aux études parce que je croyais que je ne pourrais plus jamais dessiner. » À 22 ans, la jeune Sophie Bédard pense à ranger ses crayons pour de bon. « Tout le monde me faisait des suggestions, me proposait des solutions… et j’ai fait tout ce qu’il fallait faire physiquement avant de me rendre compte que mon problème était psychosomatique. » Mais tsé, elle venait aussi de dessiner trois livres en deux ans.
Francis Desharnais et Pierre Bouchard, pour leur part, terminent la trilogie des Motel Galactic avec un ultime épisode intitulé Comme dans le temps dans lequel le Pierre Bouchard du futur ramène finalement le Pierre Bouchard du passé jusqu’à son époque – qui s’adonne à être notre présent. Si vous n’avez pas lu les livres, peut-être que c’est un peu dur à suivre. Mais toujours est-il que, pour célébrer ça, Luc décide de fabriquer une quarantaine de coffrets de bois qui sont peints à la main par Pierre. Ceux-ci sont dévoilés au public lors d’une exposition organisée à la galerie Morgan Bridge, à Québec. Gros party. Tout le monde est là.
C’est aussi en 2013 que Pow Pow publie pour la première fois un p’tit jeune du nom de Guy Delisle. Croquis de Québec rassemble, comme son titre l’indique, les dessins réalisés par l’auteur de Pyongyang dans le cadre d’une résidence dans sa ville natale. « C’est Thomas-Louis Côté du Festival de bande dessinée de Québec qui m’a proposé de publier ce livre-là », m’explique Luc. « Guy est un auteur à surveiller », m’annonce-t-il sur un ton prophétique, « je pense qu’il va aller loin. » Seul l’avenir nous le dira.