Le mystérieux Blonk sortira à la fin du mois son premier livre, 23 h 72. Mais il n’en est pas à ses premières armes dans le monde de la bande dessinée. Nous avons voulu le rencontrer, afin qu’il nous parle un peu de son parcours atypique et de ses multiples influences – qu’il s’amuse à citer abondamment.

 

La première fois que Luc Bossé a mentionné qu’il voulait publier un livre d’un auteur qui se nommait « Blonk », je me suis un peu demandé qui tu étais et d’où tu sortais… J’ai pensé que tu sortais de nulle part jusqu’à ce que, par exemple, Siris s’exclame en voyant passer ton nom : « est-ce que c’est le même Blonk que dans le temps, ça? » De toute évidence, tu n’en es pas à ta première expérience en bande dessinée, même si 23 h 72 est ton premier livre…

Quand j’avais dix ans, je suis tombé par hasard sur les dessins du frère d’un de mes meilleurs amis. Son nom figure d’ailleurs dans les remerciements de l’album. Dès ce moment là, je suis tombé en amour avec le médium et je me suis dit, un peu naïvement, que c’est ce que j’allais faire plus tard. J’ai fait de la bande dessinée au détriment de mes études jusqu’à la fin du secondaire. J’ai toujours continué de dessiner, même quand la vie a voulu m’en éloigner – parce qu’il fallait que je travaille et que je gagne ma croûte. La réalité m’a rattrapé, mais j’ai toujours essayé d’avoir quelques projets dans mes cartons. Adolescent, j’ai publié quelques fanzines avec des amis dont le By Jove!… Dans les années 80, j’ai aussi été publié dans le Tchiize! d’Yves Millet. C’était de petits projets comme ça, édités à compte d’auteurs… Des fanzines dont le #2 n’était jamais publié. C’était souvent ça, à l’époque. Aujourd’hui, il y a tellement de façons de s’éditer qui sont plus abordables que ce à quoi on avait accès… Mais on s’amusait beaucoup. Les fanzines, c’était aussi une excuse pour aller dans les salons du livre et pour faire des entrevues avec les auteurs… C’était notre manière d’avoir une passe de presse ainsi qu’une raison d’approcher les attachés de presse. Mais à un certains point, il y a eu ma femme, mes enfants… je n’avais plus nécessairement autant d’énergie à consacrer à la bande dessinée. À 31 ans, je suis devenu graphiste… Puis mes enfants ont vieilli et ils sont évidemment devenus plus autonomes. Alors, en 2007, j’ai entamé un autre projet avec Laurent Gautreau, un fanzine qui s’appelait le Cochon lunaire et qu’on avait présenté à Expozine. Mais ça m’avait un peu épuisé : j’avais écrit une petite histoire, mais j’avais surtout fait tout le montage du truc, le montage du site web… J’avais donc pris une pause, encore une fois, avant de me lancer dans un projet plus étoffé qui s’intitulait Luna incognita. Je l’ai présenté à quelques maisons d’éditions qui ne m’ont pas répondues. Puis je l’ai envoyé à Luc, en même temps qu’une ébauche de 23 h 72. C’est celui-là qui l’a intéressé.

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Est-ce que, dès le début, tu as su que tu voulais faire ce livre en couleurs?

Non. Il y a eu quelques version, en fait. J’en ai fait une première en noir et blanc, puis une seconde dans une palette de couleurs un peu plus délavée… Ça m’arrive souvent de faire et de refaire les deux ou trois premières planches d’un projet dans différents styles pour voir. Puis je me suis dit qu’il fallait que je me branche. Je me suis alors souvenu de ce que j’aimais quand j’étais jeune et que j’ai découvert la bande dessinée. C’est là que j’ai pensé au travail de Massimo Mattioli, qui dessinait notamment Pinky qu’on pouvait lire dans la revue Pif. Son dessin était très naïf et il utilisait des couleurs très vives. J’ai essayé ça et, finalement, j’ai trouvé que ça marchait très bien.

Ce qui est impressionnant, quand on regarde ton utilisation de la couleur, c’est qu’elle sert vraiment à structurer le dessin.

Au début, Luc m’a dit qu’il n’avait pas l’habitude de publier des livres en couleurs. Alors je lui ai proposé de faire le projet en noir et blanc. Mais il m’a encouragé à le faire en couleurs… Et il a eu raison de le faire car c’est vrai qu’en enlevant la couleur, on enlève vraiment beaucoup au dessin. Quand je dessine, je pense le résultat final en couleurs. C’est souvent ce qui m’aide à créer de la profondeur. La couleur me permet de créer des volumes, même si le dessin est assez simple. J’aime beaucoup travailler sur la lumière et les ombres. J’essaie généralement de mettre une source de lumière, pour pouvoir enrichir le dessin.

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Tu fais beaucoup de clins d’oeil, tout au long du livre, à des auteurs qui t’ont inspiré. Un personnage porte un t-shirt de La marque jaune, par exemple… Est-ce que c’est une manière de rendre hommage à tes influences?

J’ai toujours aimé rendre hommage à mes influences. Faire des clins d’oeil, comme ça, surtout en sachant que le livre sera diffusé… Il y a certaines références qui sont plus pointues, plus recherchées et avec lesquels les gens seront peut-être moins familiers. Je trouve ça l’fun de penser que quelqu’un quelque part va peut-être s’intéresser à l’une d’entre-elles. Ce n’est pas tout le monde, par exemple, qui a lu Pif Gadget… Je mentionne aussi Jean-Claude Poirier… Il y des auteurs, comme ça, qui tombent complètement dans l’oubli. Ce sont des gens qui ont disparu, dont les albums n’ont pas été réédités. Glisser ces références dans mon livre, même si c’est par le biais d’un t-shirt, me permet effectivement de leur rendre hommage. Il y a un peu de ça et, aussi, un peu du fait que j’ai un garde-robe plein de t-shirts. Quand je me dessine avec un t-shirt de Captain America, c’est parce que j’en possède au moins trois – dans trois couleurs différentes! Alors c’est un mélange d’hommage et d’autoportrait.

Même si, de toute évidence, 23 h 72 est une oeuvre de fiction, on sent qu’il y a une grande part de vécu derrière ce scénario. On voit bien qu’il s’agit d’une histoire qui ne sort pas de nulle part.

Au départ, c’est inconscient. Quand tu commences un projet, tu sais bien qu’il y a quelque chose de toi qui va s’y retrouver. Mais c’est en cours de route que tu fais des décisions conscientes qui l’amènent dans une direction plutôt qu’une autre. Donc oui, il y a des éléments autobiographiques là-dedans, des éléments qui sont vrais et d’autres qui sont inspirés de trucs personnels. En vieillissant, j’ai l’impression que le bagage qu’on accumule devient une ressource à notre disposition pour construire quelque chose de mi-fiction, mi-réalité que je trouve très intéressant. J’avais d’emblée une vague idée de ce qui pourrait se passer, mais c’est au fur et à mesure de l’écriture que je me suis dit que je pourrais utiliser des choses qui m’étaient arrivées.

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Crois-tu que l’élément fantastique sert à créer une distance, par rapport à ces expériences – ou, au contraire, à t’en rapprocher?

J’ai toujours beaucoup aimé le fantastique. À trois ou quatre ans, je demandais déjà à mes parents : « est-ce qu’il va y avoir des films de monstres à la télévision ce soir? » À cette époque, les monstres c’était encore ceux des films de la Universal avec Boris Karloff et Bela Lugosi… J’ai toujours été attiré par le fantastique et l’irréel. D’où la citation de Boris Cyrulnik qui se trouve au tout début du livre : « L’invention picturale ou la fantasmagorie littéraire permettent de supporter le réel désolé en apportant des compensations magiques. » Je trouve le monde un peu terne, un peu plate… et ce qu’on est capable d’y mettre de couleurs le rend plus intéressant, à la limite plus supportable aussi. On m’a souvent fait remarquer que mes personnages principaux ne sont généralement pas à leur place, qu’ils vivent un certain décalage par rapport à ce qui leur arrive. Ils ne sont pas à leur place dans le monde qu’ils habitent. Ils sont incompris. Plus j’y pense, plus je réalise que c’est un sentiment qui m’habite. Le zombie de 23 h 72, par exemple, devrait être ailleurs.

Tu utilises d’abord ce décalage pour créer un effet humoristique. Puis, peu à peu, ça devient un ressort dramatique.

Ça aussi, c’est arrivé de manière très inconsciente. J’avais écris les premières pages en anglais et, étrangement, elles étaient beaucoup plus drôles en anglais. Quand je les ai traduites en français normatif, ça ne marchait tout simplement pas. Puis Luc m’a suggéré de les traduire dans un français plus québécois et je dirais que ça a décollé de nouveau. Mais au fur et à mesure que le projet a avancé, il est devenu plus sérieux et l’humour a été un peu évacué de l’histoire. Même le dessin a évolué en parallèle avec le sérieux du propos : au début, les proportions sont beaucoup plus proches du cartoon puis elles deviennent progressivement plus réalistes. Tout ça s’est fait tout seul, toutefois. Je l’ai remarqué, mais ce n’est pas quelque chose que j’avais l’impression de pouvoir contrôler. Il y a de beaux accidents qui arrivent en cours de route.

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C’est surprenant que tu dises cela, parce que la structure de l’album paraît très calculée. Il y a de nombreux rappels, des détails très précis qui se répondent entre eux. Ça semble tout sauf « improvisé ».

C’est sûr que j’ajustais souvent des détails en fonction de ce que je venais de faire. Je regardais mon projet évoluer. C’est peut-être ce qui donne cette impression d’un travail plus réfléchi. Ce l’était, mais c’était en même temps très improvisé.

Tu t’en tiens toujours à une mise en page en gaufrier très classique, à la limite très stricte. Désirais-tu t’imposer une structure précise pour ensuite pouvoir jouer avec celle-ci?

C’était ma première expérience avec un découpage de ce genre. L’auteur Jason travaille souvent avec ce genre de découpage. J’ai trouvé cette méthode intéressante, parce qu’elle me permettait d’écrire mes dialogues et d’aller les placer ensuite. Je faisais mon découpage en fonction des cases, alors qu’une forme plus éclatée m’aurait forcé à travailler sur le découpage et le scénario en parallèle. J’ai l’intention de réaliser mon prochain projet selon la même méthode.

Tu as déjà quelques idées pour ton prochain projet?

Encore une fois, le personnage principal sera un peu à l’écart de ce qui l’entoure. Je voudrais traiter de l’ignorance et de tout ce qui peut en découler comme superstitions et comme manipulations. Le personnage principal sera un lapin – en hommage, peut-être, à Mattioli. Parce que Pinky, c’était vraiment cool.

(Entretien réalisé par Alexandre Fontaine Rousseau)