Boum est née à Montréal. Elle a étudié en dessin animé et a vu ses courts- métrages voyager un peu partout dans le monde. Mais c’est à la bande dessinée qu’elle se consacre depuis 2011. Sa plus récente BD, La méduse, est parue chez Pow Pow en novembre 2022. Dans ce livre, Boum raconte l’histoire d’Odette, une libraire dans la jeune vingtaine qui apprend qu’elle est atteinte d’une maladie oculaire dégénérative.

Tu représentes la perte de vision avec l’apparition d’une méduse qui se multiplie. Pourquoi as-tu choisi de l’illustrer de cette façon?
C’est directement inspiré de mon vécu: vers 2007, j’ai commencé à avoir un nombre incalculable de corps flottants (des petites taches translucides que la majorité des gens finissent par voir au cours de leur vie) dans mon œil droit. Les taches formaient un genre de blob que je voyais bouger comme une méduse devant moi. Comme je n’avais pas eu de diagnostic formel, j’ai moi-même baptisé ce blob «ma méduse». J’avais donc une méduse dans l’œil, et l’histoire de mon livre s’est écrite pratiquement toute seule à partir de ça.

Comment la perte de ton œil en cours de travail a affecté ton livre?
Les deux ou trois premiers mois après la perte de mon œil ont été plutôt intenses. J’étais à l’hôpital tous les jours, pour des examens ou des traitements qui devaient sauver mon œil (sans succès). Comme la vision monoculaire affecte la perception de la profondeur, j’ai dû me réhabituer à dessiner, et j’ai pris la décision de ne travailler qu’en numérique pour pallier mon handicap. Mes nombreuses visites à l’hôpital ont fait en sorte que je suis retournée dans mon scénario et mon découpage pour modifier certaines scènes, pour le mieux, je crois.

Le processus que tu as utilisé, c’est-à-dire de couvrir les pages de plus en plus de méduses, a quelque chose d’immersif pour le lecteur. Ça lui permet en quelque sorte de voir une maladie invisible. On aurait parfois envie de les tasser parce qu’elles nous bloquent la vue. Est-ce que c’était un choix purement esthétique ou est-ce que tu voulais que les gens puissent mieux comprendre la frustration de ton personnage?
Oh, c’était tout à fait intentionnel.

Je voulais que le lecteur perde la vue en même temps que le personnage principal, et qu’il ressente sa frustration et sa peur. J’espérais même que le lecteur doive ralentir ou recommencer la lecture de certaines cases ou pages, comme le feraient des gens atteints de cécité partielle ou grandissante.

C’était à la base inspiré du fait que mon conjoint oubliait que j’avais une maladie oculaire et me demandait à l’occasion «As-tu encore ta méduse dans l’œil?». J’avais réalisé que c’était très abstrait pour lui et pour les gens autour de moi, et que si moi j’y pensais tous les jours, ce n’était pas le cas pour eux. J’ai voulu expliquer ma situation, et celles des gens aux prises avec des maladies chroniques, dans mon livre.

Tu as terminé La méduse à l’automne 2022, mais ce projet t’habitait depuis plusieurs années déjà. En 2010, tu croyais plutôt en faire un court-métrage. Comment cette histoire est finalement devenue une bande dessinée?
J’avais participé à un concours de l’Office national du film du Canada, intitulé « Cinéaste recherché(e) », où on pouvait soumettre une idée pour faire un film d’animation. J’avais proposé un court-métrage muet d’environ cinq minutes, La méduse, qui racontait l’histoire d’une jeune fille avec une méduse dans l’œil. L’histoire commençait de la même façon et le message derrière était sensiblement le même, mais c’était beaucoup plus simple et court, évidemment. J’ai été finaliste, mais je n’ai pas gagné le concours. J’ai donc rangé cette idée dans un tiroir et je l’ai oubliée pendant quelque temps. Je pense que si j’avais réalisé le court-métrage, je n’aurais pas eu envie d’approfondir le sujet, j’aurais considéré ce projet comme étant terminé. C’est une excellente chose que je n’aie pas gagné le concours, parce que la bande dessinée est pas mal meilleure que le film que j’aurais fait!

Tu as développé une belle galerie de personnages où il y a beaucoup de diversité, que ce soit sur le plan des orientations sexuelles, des origines ethniques ou encore de la représentation des corps. Est-ce que l’inclusivité était une préoccupation pour toi?
Oui, beaucoup. Je crois qu’en tant que femme cis blanche dans une relation hétéronormative, ce n’est pas ma place d’inventer des histoires de coming out, de racisme ou de transphobie, par exemple, parce que je n’ai pas ce vécu. Par contre, je pense que tous les auteur·ices ont le devoir de mettre en scène des gens de communautés variées qui vivent des histoires universelles, comme la maladie, l’amour, le deuil… Le monde n’est pas homogène et ça devrait se refléter dans la culture aussi.

La notion de consentement est aussi présente dans ton livre, Naina demande à Odette si elle peut l’embrasser pour la première fois. Penses-tu que la littérature a un rôle social?
Pas seulement la littérature, mais oui. Je suis mère depuis 2013, et j’essaye fort d’inculquer ce qu’est le consentement à mes enfants, incluant les becs et les câlins venant des grands-parents ou des oncles et tantes, ce qu’on ne m’avait pas appris quand j’étais petite («va donc embrasser ton oncle X», même si je ne connaissais pas cette personne et que ça me mettait profondément mal à l’aise). J’aimerais que les livres, les films, les séries que mes enfants consomment abondent dans le même sens. Je pense qu’il faut représenter ces comportements dans ce qu’on lit et ce qu’on écoute pour que ça devienne la normalité.

Sur une touche un peu plus légère, on sent que tu as eu beaucoup de plaisir à créer les looks de tes personnages. Qu’est-ce qui t’inspire dans la mode?
C’était comme jouer aux Barbies! J’ai créé un dossier de recherche pour chacun des personnages importants de mon histoire, et je suis allée fouiner sur les blogues de mode pour m’inspirer. Odette, par exemple, a une garde-robe inspirée de la street fashion de Tokyo. Les personnages changent de vêtements à chaque scène, ça aide à rendre le livre moins redondant à dessiner.

Enfin, ton livre se déroule à Montréal. On reconnaît l’architecture (les escaliers en fer forgé, les édifices en briques), on voit le Stade olympique, bref, la ville y est super bien représentée. Avais-tu envie de rendre un hommage à ta ville de façon détournée?
Oui, dans un sens, mais c’était surtout pour me faciliter la vie avec les photos de référence, haha. Odette habite dans mon premier appartement dans Hochelaga-Maisonneuve, dans lequel j’ai vécu en 2007-2008. Comme La méduse est à saveur autobiographique, ça m’amusait de camper l’action dans mon coin. J’aime beaucoup Montréal, donc c’était un bonus.