En 2020, Pow Pow célèbre son dixième anniversaire. En dix articles, Alexandre Fontaine Rousseau retrace les grandes lignes de cette saga épique. Découvrez, année après année, l’évolution d’une petite maison d’édition indépendante qui s’est lentement, mais sûrement, imposée comme un pilier de la bande dessinée québécoise actuelle.

 

Lorsque j’ai rencontré Luc Bossé pour la première fois, il vendait des fanzines dans un sous-sol d’église, installé devant un haut-parleur qui blastait du reggaeton à plein volume. Il faisait chaud. Ça puait. Honnêtement, Luc avait l’air un peu à boute. En fait, c’est clair qu’il en avait plein le cul parce qu’il m’a même fait une dédicace dont c’était de toute évidence le sous-texte. Ça disait : « J’ai « volontairement » choisi le spot. » J’ai même fouillé dans ma vieille boîte pleine de zines pour la retrouver.

En 2009, Pow Pow n’existait pas encore. Je ne crois pas que Luc s’imaginait, à ce moment-là, qu’il serait un jour éditeur. Il publiait ses propres trucs pour le fun, sans penser que ça deviendrait éventuellement sa job. Mais un an plus tard, à Expozine, il tenait entre ses mains les deux premiers livres de sa propre maison d’édition : une collaboration avec Alexandre Simard intitulée Yves, le roi de la cruise et le fameux Apnée de Zviane.

« Sylvie-Anne m’a dit qu’elle travaillait sur un petit projet un peu plus personnel et un peu garroché », explique-t-il, « et elle m’a demandé si j’étais intéressé à l’éditer. » Ce petit livre soi-disant vite fait allait rapidement devenir le premier vrai succès éditorial de Pow Pow, remportant notamment le Grand Prix de la Ville de Québec en plus d’être en lice pour le Prix Bédélys.

Yves, le roi de la cruise, pour sa part, est un projet qui est né alors que Luc travaillait encore comme graphiste. « C’est comme ça que j’ai rencontré Alexandre Simard, qui était programmeur dans la même boîte que moi. Il tenait un blogue sur lequel il partageait des anecdotes et des réflexions personnelles sur son quotidien et sur les relations amoureuses. Je trouvais qu’il écrivait bien, alors je lui ai proposé qu’on fasse quelque chose ensemble. »

On les voit ici lors de leur tout premier Salon du Livre de Montréal, tentant tant bien que mal de gérer une file de lecteurs impatients de faire dédicacer leur exemplaire du livre en question. Fidèle à lui-même, Luc a déjà l’air de se demander si le moment est venu de mettre la clé dans la porte. Mais c’est déjà trop tard, parce qu’il a entre temps accepté deux autres projets : Mile End de Michel Hellman ainsi que Motel Galactic de Pierre Bouchard et Francis Desharnais.

« Je me souviens avoir rencontré Luc lors de l’Atelier donné par Jimmy Beaulieu au Cégep du Vieux Montréal », raconte Michel. « On avait sympathisé un peu et il m’a parlé de son projet de maison d’édition. Ce n’est que plus tard que je lui ai lancé l’idée de faire un livre à partir de mes histoires de blogue. Je lui en avais parlé une soirée, un peu en blague, et j’ai été surpris, mais bien content quand il m’a relancé sur le projet quelques jours plus tard. »

« Je voulais faire un genre de recueil en ordre chronologique », se souvient l’auteur, « mais Luc m’a suggéré plutôt de lier le tout sous le thème du quartier Mile End qui sert de décor principal à mes histoires. » C’est ainsi que Mile End est devenu le livre que l’on connaît aujourd’hui : « c’était une excellente idée qui m’a permis de donner une forme plus libre à la structure du livre et de rajouter des histoires pour ficeler le tout. »

Quant à la genèse de Motel Galactic, elle remonte à une conversation qu’ont Francis Desharnais et Pierre Bouchard lors d’un souper. « C’était au… », débute Francis, « voyons comment ça s’appelle don’ ce restaurant-là? » À l’autre bout du fil, je lui mentionne que ce n’est pas tellement important. « C’était un restaurant vietnamien coin de la Couronne et de la Reine », poursuit-il, « me semble. » Sérieux Francis, on s’en crisse un peu.

« On parlait de la notion de se mettre en danger à travers l’écriture », explique-t-il, « un concept que j’ai toujours trouvé un peu étrange, à moins que tu fasses de la performance pis que ta pratique artistique ce soit de t’ouvrir les veines ou d’être funambule sur le bord d’un canyon. » C’est comme ça qu’ils en viennent à parler d’une autre notion, celle de sortir de sa zone de confort en tant qu’auteur. « C’est comme ça que l’idée est venue de faire faire à Pierre un livre de science-fiction. »

À force de faire des blagues là-dessus, l’idée se transforme en projet concret. « J’ai commencé par écrire un premier chapitre que Pierre a dessiné pendant un 24 heures de la bande dessinée », poursuit Francis, « pis on a été tellement satisfaits du résultat que je lui ai proposé d’écrire la suite. » Au bout du compte, Pierre et Francis réaliseront ensemble trois tomes de cette série de science-fiction du terroir.

Selon Francis, Motel Galactic constitue un moment décisif dans son œuvre. « Au niveau de la langue, Burquette était très classique », rappelle-t-il, « c’était écrit dans un français international. » C’est en cherchant à s’inspirer du style de Pierre Bouchard que l’auteur en vient à libérer sa propre écriture. « Le fait de me donner le droit d’écrire en Québécois, ça m’a permis de découvrir un rythme plus punché. Tous les livres que j’ai écrits par la suite le sont dans cette langue-là. »

Après un an, le catalogue de Pow Pow compte donc quatre titres et le compte en banque de Luc quelques milliers de dollars en moins. Mais les dépenses ne font que commencer. Déjà, le mois de novembre annonce deux autres parutions : le premier tome des Glorieux printemps de Sophie Bédard ainsi qu’un premier livre d’un jeune commis de club vidéo du nom de Samuel Cantin.

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