Après avoir répondu aux questions de Xavier Cadieux et partagé ses meilleurs trucs de pro sur la façon de dessiner un pinch pas de bouche, Sophie Bédard se prête encore au jeu et accepte cette fois de parler des Petits garçons avec Alexandre Fontaine Rousseau quelques jours après avoir remporté le Prix Bédélys Québec — remis à l’auteur ou à l’autrice de la meilleure bande dessinée professionnelle publiée au Québec en 2019.

 

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Je pense qu’une des grandes forces des Petits garçons, ce sont tes personnages qui y sont très incarnés. Je sais que tu passes beaucoup de temps à travailler sur ceux-ci, que tu écris beaucoup à partir d’eux. Je t’ai déjà entendu dire qu’il fallait que tu « habites » un certain temps avec tes personnages pour écrire. Pourrais-tu nous parler un peu de la place qu’ils occupent dans ton processus créatif ?

Je me souviens que j’avais pondu le design de certains personnages des Petits garçons entre 2013 et 2014. À l’époque, je me souviens qu’il y avait une fille de plus et que la personnalité de certains personnages n’était pas tout à fait la même. Par exemple, Jeanne, qui est devenue très « stricte », était au départ une sorte de party girl. Elle a fini par avoir la personnalité d’un autre personnage qui a disparu. Je pense que j’ai besoin d’un design clair et qu’ensuite, je suis en mesure d’imaginer diverses mises en scène avec mes personnages. Puis, une fois que leur personnalité est vraiment fixée, ça devient possible pour moi d’écrire un scénario. En 2015, j’avais terminé une quarantaine de pages de découpages des Petits garçons à partir de ces personnages. Mais finalement, ça ne marchait pas du tout et il a fallu qu’elles existent encore dans ma tête un moment parce que ce n’était pas encore assez incarné : tout était trop flou, tout restait en surface.

Une fois que tu as tes personnages, considérant l’effort que ça représente pour toi de les créer, est-ce que l’envie d’écrire de nouvelles histoires avec eux te prend ? Ou est-ce que tu as plutôt envie de repartir à zéro et d’en inventer d’autres ?

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Jusqu’à maintenant, quand j’invente des personnages, c’est aussi parce que j’ai en tête un arc narratif précis au sein duquel ils existent. Dans le cas des Petits garçons, par exemple, je savais de quoi je voulais que ça parle avant d’avoir des personnages précis. Je savais très exactement comment je voulais que le livre se termine. J’avais déjà la scène finale en tête. Donc même si je travaille longtemps à peaufiner leurs personnalités, ils restent un peu indissociables de cet arc narratif. En ce moment, c’est drôle parce que j’essaie de faire un zine mettant en scène les mêmes personnages dont l’action se passerait un an avant ce qui est raconté dans le livre. Les gens me demandent souvent si je ferais une suite aux Petits garçons, mais je suis vraiment incapable d’imaginer ces personnages faire autre chose que se croiser dans un dépanneur et s’ignorer parce qu’ils n’ont pas envie de se parler. (Rires.) Mais j’ai du plaisir à imaginer ce qui a pu se passer avant.

J’ai l’impression que beaucoup de gens écrivent en ayant un début et une fin en tête, sans trop savoir ce qui va se passer entre les deux. Est-ce que c’est ton cas ?

Oui, c’est exactement ça. Pour Les petits garçons, j’ai eu très tôt une scène d’ouverture et une scène finale. Parfois, ça ne se passe pas exactement comme prévu. Pour Glorieux printemps, j’avais aussi un début et une fin. Mais finalement, ça a fucking pas été ça. (Rires.) Tant mieux, d’ailleurs. Parce que c’était vraiment une fin de marde ! Disons que j’apprenais encore à raconter des histoires, quand j’ai fait Glorieux printemps.

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Un aspect que je trouve intéressant des Petits garçons, c’est la manière dont tu ancres ton récit dans des lieux précis. On reconnaît Montréal, on reconnaît le quartier Villeray. Dans quelle mesure est-ce que cet ancrage-là est important pour toi ?

Les lieux faisaient effectivement partie du processus d’écriture, dans le cas des Petits garçons. Si je pense, par exemple, au café dans lequel on voit souvent les filles… il s’agit d’un lieu où j’allais moi-même assez souvent pour écrire ou dessiner. Alors quand j’écrivais des scènes, je me disais que ce serait cool qu’elles se passent à cet endroit-là. J’aime beaucoup la ville de Montréal et j’avais envie de voir mes personnages habiter mon quartier. Encore aujourd’hui, il y a des trucs qui me viennent en tête et auxquels je regrette de ne pas avoir pensé avant. J’aurais aimé qu’elles fassent la file pour s’acheter une crème glacée, par exemple, où qu’elles aillent bruncher dans un resto. Les lieux sont aussi devenus un moyen pour moi de faire avancer l’intrigue. Mais c’était surtout pour le plaisir. Quand elles se rejoignent au Pho Mylys, c’est simplement parce que j’avais envie de dessiner cet endroit-là… parce que j’y allais tout le temps, à ce moment-là !

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Est-ce qu’il y a des bandes dessinées qui t’ont spécifiquement inspirée, quand tu travaillais sur Les petits garçons ? Des influences auxquelles tu revenais et auxquelles tu pouvais te référer ?

Peut-être pas des livres. Mais des films, par contre, oui. Obvious Child de Gillian Robespierre, Frances Ha de Noah Baumbach. Quand j’ai vu Frances Ha, je me suis dit que j’aurais voulu l’écrire. C’est un peu ce type d’amitié, cette énergie que je cherchais à représenter avec mon livre. Une série australienne, aussi : Please Like Me.

J’ai eu la chance de lire C’est comme ça que je disparais de Mirion Malle et j’ai été amusé de voir qu’il existait des liens explicites entre les deux livres. Comment est-ce que c’est arrivé, tout ça ?

J’avais dessiné Mirion dans les premières pages de mon livre et Mirion a dessiné plein des gens qui l’entourent dans le sien, dont moi. Mais, elle a fini par carrément me demander si elle pouvait mettre une scène des Petits garçons dans C’est comme ça que je disparais. Il faut dire que nous avons beaucoup échangé pendant l’écriture de nos livres respectifs : elle me faisait lire ses pages et je lui faisais lire les miennes. Alors c’est un peu une blague qu’elle me faisait. Mais j’ai trouvé ça très drôle ! C’est exactement le même dialogue, pis toute.

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Le ton de ton livre repose sur un bel équilibre entre l’humour et le drame, un dosage très naturel entre les deux. Dans quelle mesure est-ce que cet équilibre entre les deux t’est, justement, venu naturellement ?

À mes yeux, l’un ne va pas vraiment bien sans l’autre. Je n’ai pas du tout envie d’écrire un livre qui ne serait que l’un ou l’autre. Un livre purement dramatique, ce serait long et triste à écrire. Mais je trouve que, de toute façon, l’humour peut très bien servir le drame. Je pense que les lecteurs auront beaucoup plus tendance à s’attacher aux personnages s’ils les trouvent drôles. Mais ce n’est pas quelque chose de réfléchi, pour moi. C’est simplement le genre d’histoires que j’ai envie d’écrire.

Et qu’est-ce que ça te fait d’avoir gagné un Bédélys pour Les petits garçons ?

Je suis heureuse et j’ai été très surprise ! En fait, je crois que ça me fait surtout plaisir de savoir que ce que je fais est un peu pris au sérieux. (Rires.) Juste pour ça, c’est sûr que ça fait plaisir.