À l’occasion de la sortie du premier tome de Whitehorse, Alexandre Fontaine Rousseau a rencontré l’auteur de Vil et misérable, Samuel Cantin, pour lui parler d’écrire des personnages haïssables, de Tintin et de devenir un vrai de vrai auteur de bande dessinée professionnel – lentement mais sûrement.
Sans pour autant tout nous révéler, peux-tu nous résumer l’histoire de ton nouveau livre Whitehorse?
Whitehorse, raconte l’histoire d’Henri et de Laura – qui forment un jeune couple dans le début de la vingtaine. Henri ne sait pas trop ce qu’il va faire, tandis que Laura est une actrice qui vient de sortir de l’école et qui est déjà très en demande. Henri est un peu jaloux d’elle, ou plutôt jaloux du fait que sa vie professionnelle à elle commence avant la sienne… Mais le vrai point tournant, dans leur relation, c’est que l’on propose à Laura le premier rôle dans un film qui sera tourné à Whitehorse. Or, Henri déteste le réalisateur de ce film, Sylvain Pastrami. C’est là que ça éclate.
Tes personnages sont toujours un peu détestables : c’était déjà le cas avec Lucien Vil, dans Vil et misérable, et ce l’est encore ici. Qu’est-ce qui t’attires vers ce genre de personnages?
La principale raison pour laquelle je m’intéresse à ce genre de personnage, c’est qu’ils sont plus drôles. Mes livres sont d’abord des comédies… et c’est toujours plus amusant de voir quelqu’un d’exécrable tomber sur une table. C’est plus satisfaisant.
C’est un peu compliqué, par contre, d’écrire ce genre de personnages. Parce qu’il faut quand même trouver le moyen de s’y attacher…
Pastrami est assez facile à écrire, au fond, parce qu’il est vraiment haïssable. Je voulais effectivement qu’Henri soit un peu attachant, même si il est vraiment sur la ligne. J’ai fait lire Whitehorse à quelques personnes : certains me disent qu’ils le trouvent vraiment détestable, d’autres qu’ils sont touchés par sa vulnérabilité et me disent que sa vulnérabilité le rend en quelque sorte attachant. Le livre se déroule sur l’espace de quelques semaines, durant lesquelles Henri est convaincu que Laura va le quitter. Mais il dit systématiquement les pires choses possibles pour essayer de la retenir. Il est complètement catastrophé et dit tout ce qui lui passe par la tête. On entre dans son intimité au moment précis où ça dérape. Au fond, je pense que c’est un gars plutôt normal – malgré son maniérisme, malgré ses idiosyncrasies qui peuvent le rendre désagréable aux yeux de certains. Je pense qu’en temps normal j’irais prendre une bière avec lui, sauf qu’il perd vraiment le contrôle dans Whitehorse. Il n’est plus nécessairement lui-même. Mais, sans trop vouloir en dire, j’ajouterai qu’il va quand même évoluer dans la deuxième partie du récit.
Vois-tu ce livre comme une continuation de ce que tu avais entamé avec Phobies des moments seuls ainsi que Vil et misérable? Il y a tout de même de nombreux thèmes qui reviennent, un certain type de tension qui unit ces trois oeuvres…
Évidemment, les trois livres ont en commun le thème des relations amoureuses. Je pense que Whitehorse est en quelque sorte un croisement entre mes deux livres précédents. Henri est naïf comme pouvait l’être Marcus Pigeon, mais il est aussi agressif comme l’était Lucien Vil. Dans Phobies des moments seuls, la relation amoureuse était toujours en arrière-plan. Dans Vil et misérable, la question de la frustration sexuelle du personnage principal devenait un enjeu dans le dernier tiers du livre. Mais ici, c’est l’élément central. Tout repose sur cette idée d’un échec amoureux. Whitehorse assume totalement sa nature de « comédie romantique ».
Il s’agit de ton troisième livre. Le premier avait d’abord été publié sous forme de blogue, le second était ta première oeuvre conçue d’emblée pour être éditée sous forme de livre… De quelle manière sens-tu que tu as évolué, en gagnant de l’expérience?
Mon premier souci, avec ce livre-ci, était de produire une oeuvre dont la durée finale serait environ celle d’un film. En tant que lecteur, je trouve toujours que les bandes dessinées sont trop courtes, qu’on les termine trop rapidement. Voilà la première raison pour laquelle Whitehorse est en deux parties. Au total, ça va faire environ 400 pages. Je n’étais pas non plus totalement satisfait par la conclusion de mes deux premiers livres. Alors je voulais accoucher d’une oeuvre plus longue, qui sera au final plus satisfaisante. J’ai complètement revu ma méthode de travail. C’est la première fois que j’écrivais le scénario du début à la fin, avant de commencer à dessiner. Ensuite, j’ai fait un découpage puis un crayonné avant d’encrer. J’ai travaillé sur Whitehorse bien plus longtemps que sur mes deux livres précédents, combinés! Je pense que ça paraît graphiquement, mais aussi sur le plan des dialogues. Je me suis relu énormément.
Les dialogues constituent véritablement le coeur de l’oeuvre. Ils prennent véritablement toute la place et dictent le rythme des scènes. La première scène, à elle seule, est plus longue que certaines bandes dessinées complètes ne le sont! En ce sens, d’ailleurs, ton travail s’éloigne d’une certaine bande dessinée plus classique où les scènes sont beaucoup plus découpées. Chez toi, tout est dans la durée, dans l’étirement quasi infini d’une scène donnée.
C’est l’écriture de dialogues qui m’intéresse vraiment. Dans ma première version du scénario, il n’y a presque aucune didascalie. Je fais dialoguer les personnages et les scènes naissent ainsi. J’écris, j’écris, j’écris… et, au final, j’ai énormément de difficulté à retirer des passages que j’aime, même des détails anodins qui n’ont rien à voir avec l’histoire. Il y en a qui retranchent tout ce qui n’est pas en lien avec l’histoire, mais je fais tout le contraire : j’aime toutes les blagues qui fonctionnent comme des distractions, qui nous éloignent de l’intrigue principale. C’est quelque chose qui m’amuse beaucoup, au cinéma. Dans Whitehorse, on se dit après cinq ou six pages que la première scène devrait se terminer bientôt… puis quelques pages plus tard, on a encore cette impression… puis ça se reproduit encore deux ou trois fois! Je crois qu’au final, il s’en dégage un certain réalisme. On a l’impression d’avoir assisté à une vraie conversation, avec ce que ça implique de répétitions, de pauses et de relances. Le dialogue est une fin en soi.
En tant qu’illustrateur aussi, tu as beaucoup évolué. Il s’agit du premier livre que tu réalises entièrement à la plume. On sent que ça a eu un impact sur ton dessin, que ça l’a en quelque sorte libéré.
J’ai été très excité dès que j’ai commencé à utiliser la plume. On a souvent l’impression que les dessins que l’on fait dans nos carnets de croquis sont très vivants et que l’on perd un peu de leur énergie au moment de faire un livre. Quand je relis Vil et misérable, je trouve que mon dessin y manque de spontanéité. J’aime bien la swing de la plume. J’ai fais un effort pour mettre des aplats de noir, ce qui manquait cruellement à Vil et misérable! Je pense que je suis en train de devenir un auteur professionnel, lentement mais sûrement.
Il y a aussi quelques moments où ta mise en scène de l’action est plus ambitieuse, plus complexe. Ma scène préférée du livre est celle du party chez Pastrami, où tout à coup Henri est opposé à une sorte de masse humaine homogène et tente d’y trouver sa place.
C’est aussi ma scène préférée. Le livre commence là, en quelque sorte. J’ai eu tellement de plaisir à écrire cette scène qu’elle a eu une profonde influence sur la deuxième partie de Whitehorse. Au début, je pensais qu’on allait essentiellement suivre Henri, le voir tenter de reconquérir Laura; mais au fur et à mesure que je comprenais le personnage de Pastrami, qu’il prenait forme dans ma tête, j’ai compris qu’il faudrait le suivre lui aussi, le voir tourner son film, le voir interagir avec son équipe.
Le livre s’amuse beaucoup aux dépends du milieu du cinéma, mais ce pourrait être au fond n’importe quel milieu quelque peu hermétique…
Absolument. Dès que deux ou trois personnes qui sont issues du même milieu se trouvent dans la même pièce, elles deviennent rapidement insupportables pour les gens qui les entourent! Sans même s’en rendre compte, ils se mettent à jouer un jeu, à perdre leur authenticité au profit d’une certaine posture. Je suis allé dans tellement de partys où j’étais l’invité de quelqu’un, où je me sentais exclu… et inversement, c’est la même chose qui se produit quand on met trois ou quatre auteurs de bande dessinée dans la même pièce. Mais je ne voulais pas régler de comptes avec le milieu du cinéma, spécifiquement.
Cette première partie de Whitehorse est vraiment une introduction. Aucune boucle n’est bouclée. On termine le livre avec l’impression que le vrai récit est sur le point de commencer…
C’est sûr qu’il va y avoir plus de péripéties à proprement parler dans la deuxième partie. Pour moi, la première partie de Whitehorse est à la seconde ce que Objectif Lune est à On a marché sur la Lune ou encore ce que Le secret de la Licorne est au Trésor de Rackham le Rouge! Elle sert d’introduction à une suite dans laquelle il y aura plus d’action. Ce ne sera pas une grande aventure, ça va rester dans le registre de l’humour absurde. Mais dès le début du deuxième tome, on est à Whitehorse.
Pourquoi Whitehorse?
Pour aucune raison! À cause du nom? Parce que c’est dans le nord? Je m’imaginais que c’était une sorte de ville fantôme, comme il y en a dans certains westerns. Je suis sûr que, dans les faits, Whitehorse ne ressemble pas du tout à cela. Mais je n’ai même pas été voir de photos de la ville sur Google. Je ne voulais pas que ça puisse affecter ma perception, mon préjugé complètement erroné au sujet de celle-ci.